Paul B. Preciado
- séminaire
Mutations et Résistances biopolitiques - Corps, sexe, genre et sexualité à l’ère pharmacopornographique
Au croisement de la philosophie politique, des études queer et de l’histoire des pratiques performatives, ce séminaire cherche à établir une cartographie des concepts* et des textes ** permettant d’interroger la production du corps et de la subjectivité dans le contexte du capitalisme néolibéral.
À partir d’une définition biopolitique du corps en tant qu’ancrage des dispositifs de gouvernement du vivant, il s’agira d’explorer la production du sexe, du genre et de la sexualité comme techniques spécifiques de « gouvernement des corps libres » dans la modernité. On prêtera une attention particulière à l’émergence de la notion du genre ainsi que des techniques de production des identités sexuelles après la deuxième guerre mondiale, mais aussi aux nouvelles stratégies de lutte et de résistance à la normalisation inventées par les micropolitiques féministes, décoloniales, queer, de lutte contre le sida, politiques performatives, mouvements transsexuels et transgenres.
* Sexopolitique, prothèse, cyborg, genre, intersexualité, camp, drag, A2K, pharmacopornographie, etc.
** Michel Foucault, Judith Butler, Roberto Esposito, Teresa de Lauretis, Angela Davis, Monique Wittig, Donna Haraway, Guy Hocquenghem, Catherine Waldby, Judith Halberstam, etc.
Avec l’aide de l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes et de la Direction pour l’Égalité des chances de la Communauté française.
Paul B. Preciado
Philosophe et activiste, Paul B. Preciado est l’auteur du Manifeste contra-sexuel (Balland, 2000), de Testo Junkie. Sexe, drogues et biopolitique (Grasset, 2008) et de Pornotopie (Anagrama, 2010, à paraître chez Flammarion en 2011).
Preciado dirige le projet d’investigation et de production artistique « Technologies du genre » dans le programme d’études indépendantes du Macba (Musée d’Art Contemporain de Barcelone) et enseigne l’histoire politique du corps et la théorie queer à l’Université Paris 8.
"In Between", texte de Ivan Kralj
« Le premier sortit: il était roux et tout entier comme un manteau de poils; on l'appela Ésaü. » (Genèse 25 :25)
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’origine de l’appellation de la femme à barbe, la femme Ésaü, se trouve dans la Bible. C’est en effet le fils d’Isaac, très poilu de son état, qui a donné son nom aux femmes dont la pilosité aigue avait en leur temps fait des attractions populaires. Au 17ème siècle Barbara Urselin avait été décrite comme mi-femme, mi-singe, deux siècles plus tard, Jane Barnel était vendue à un cirque par sa propre mère, et aujourd’hui Jennifer Miller revendique fièrement son identité de lesbienne barbue, par ailleurs professeur d’université et artiste de cirque.
L’ambiguïté des genres a toujours titillé et attisé la curiosité des foules qui se pressent aussi attirées qu’effrayées là où l’on exhibe sans complexe cette ambiguïté : au cirque. Le terme « exhiber » a d’ailleurs nourri de nombreux débats éthiques, cependant que certains artistes, comme la barbue Annie Jones, ont pu obtenir des salaires plus élevés que le Président des États-Unis lui-même. Le cirque offre un monde de possibilités à ceux qui, la plupart du temps, restent cachés du monde.
À la fin de son spectacle P.P.P., Phia Ménard s’adresse au public et lui dit « N’ayez pas peur ». Dans un monde régi par l’uniformité, c’est en effet la peur qui nous guide face à ceux dont le genre n’est pas clairement identifiable, une peur et une curiosité séculaires. Ménard, artiste transgenre en quête de son identité propre à travers un voyage qui la mène de Philippe à Phia, construit cet effrayant « autre » sur scène avec une demi-tonne de glace. La glace fond. L’artiste fond. Quel est l’état de la matière humaine ?
En soi, le cirque est une forme d'art transgenre, une forme entre les genres. Combinant les éléments du large spectre de différentes formes artistiques, le cirque est hybride, tant dans sa forme que dans son contenu. Encore aujourd’hui, lorsqu’on parle de cirque contemporain, il n’est pas rare qu’on se voie demander de quoi il s’agit réellement.
Ainsi, le transgenre et le cirque ont en commun la non-conventionalité de leurs identités. Se référant à l’époque où le cirque présentait encore des freak shows, Rachel Adams affirme que les termes « monstres » et « queer » réfutent la logique de la politique identitaire ainsi que les problèmes irréconciliables de l'inclusion et l'exclusion, qui accompagnent immanquablement les catégories identitaires. Un des freak shows les plus prisés présentait un hermaphrodite, un moitié-moitié comme on les appelait alors. La croyance populaire disait qu’un moitié-moitié était divisé verticalement entre le côté droit qui représente la force et le masculin, et le gauche qui représente le faible et le féminin. Pour accentuer leur côté féminin, les hermaphrodites se créaient un faux sein (quitte à parfois s’infliger de dangereuses injections de matières synthétiques), et s’exerçaient intensément pour développer les muscles de leur bras droit. Ils jouaient ainsi sur l’effet de choc, que l’on retrouve aujourd’hui encore. Par exemple, dans Jim Rose Circus, l’artiste transsexuel de porno Buck Angel ne dévoile ses parties intimes que pour révéler qu’il a un vagin.
Les changements d’identité, de genre, les transformations entre hommes et femmes sont très présents dans le cirque, où ils semblent légers et faciles lorsqu’on joue l’identité de l’autre – les femmes étant trop peu nombreuses dans le secteur, les acrobates masculins se travestissent souvent. D’autres jouent de ces changements identitaires sur scène, comme par exemple Ray Monde ou la favorite de Jean Cocteau, Barbette, qui changeait de genre pendant le spectacle lui-même.
Pourtant, comme Ménard le révèle dans P.P.P, cette transition est en réalité un travail long et douloureux, et qui ne va pas sans risque… autre élément que partagent le transgenre et le cirque. Ivan Kralj dirige le Festival novog cirkusa et est à la base de nombreux projets dans le domaine des arts du cirque en Croatie. Il est l’éditeur en chef du portail Kupus.net et du magazine Kupusov list.
Ivan Kralj dirige le Festival novog cirkusa et est à la base de nombreux projets dans le domaine des arts du cirque en Croatie. Il est l’éditeur en chef du portail Kupus.net et du magazine Kupusov list.